Qui, d’une compagnie de transport ou de distribution d’énergie électrique ou du particulier propriétaire d’arbres, a la responsabilité des dégâts causés par ceux-ci aux installations électriques?
Avant que les compétences en matière de production, de transport et de distribution de l’énergie électrique ne passent aux Régions, la matière était régie par la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d’énergie électrique. L’article 14 de cette loi donnait à l’Etat, aux provinces et aux communes ou à leurs concessionnaires, si l’acte de concession les y autorisait, le droit de couper les branches d’arbres et les arbres eux-mêmes, ainsi que d’enlever leurs racines se trouvant à proximité de conducteurs aériens ou souterrains d’énergie électrique, lorsqu’ils étaient susceptibles d’occasionner des courts-circuits ou des dégâts aux installations. En dehors des cas d’urgence, ce droit était toutefois subordonné au refus du propriétaire d’effectuer les travaux ou à l’absence de réaction à une invitation d’y procéder durant un délai d’un mois. Actuellement, en Région wallonne, la matière est soumise à l’article 20bis du Décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité. Aux termes de cette disposition:
« Dans le respect des exigences prescrites par le règlement technique, le gestionnaire de réseau a le droit:
1° d’établir à demeure des supports et ancrages pour lignes électriques aériennes à l’extérieur des murs et façades donnant sur la voie publique;
2° de faire passer sans attache ni contact des lignes électriques aériennes au-dessus des propriétés privées;
3° de couper des branches d’arbres qui se trouvent à proximité des lignes électriques aériennes et qui pourraient occasionner des courts-circuits ou des dégâts aux installations. Sauf urgence, le droit de couper les branches d’arbres est toutefois subordonné soit au refus du propriétaire d’effectuer l’ébranchage, soit au fait qu’il laisse sans suite, pendant un mois, l’invitation à y procéder. »
La loi, on le sait, ne peut avoir d’autre vocation que de donner une ligne générale de conduite. Elle demande à être adaptée aux cas particuliers, et c’est là le travail du juge. Pour connaître un régime juridique, impossible donc de se contenter de la loi: sa connaissance doit se compléter d’une bonne connaissance de la jurisprudence.
L’article 20bis du Décret du 12 avril 2001 fait naître au profit du gestionnaire du réseau électrique une servitude d’utilité publique. La loi lui donne le droit d’élaguer, mais en dehors des cas d’urgence elle soumet ce droit à une interpellation préalable du propriétaire de l’arbre. Le droit naît donc de l’urgence, d’un refus explicite, ou d’une inertie durant un mois. Mais lorsqu’un arbre cause des dégâts aux installations, qui doit en supporter les conséquences?
D’après les article 697 et 698 du Code civil, celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver, et ces ouvrages sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds assujetti, à moins que le titre d’établissement de la servitude ne dise le contraire. Ce n’est donc pas au propriétaire de ce que l’on appelle le « fonds servant », celui qui supporte la servitude, d’en assurer l’entretien. Mais ne doit-il pas veiller à ne pas en troubler la jouissance, par exemple en étant attentif à ce que ses arbres ne la compromettent pas d’une manière ou d’une autre?
Il faut ici distinguer selon l’origine du dégât.
D’après l’article 1384 du Code civil, « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. » Cette disposition doit toutefois se lire à la lumière de l’article 1382: pas de responsabilité sans faute. Est-ce une faute, que de laisser pousser un arbre sans l’élaguer lorsqu’il se trouve à proximité de lignes électriques? En règle non: « Même en adoptant (une) conception fonctionnelle du vice, un arbre sain, existant (à l’endroit litigieux) depuis de nombreuses années (sans doute avant le placement des poteaux et de la ligne) et croissant tout à fait normalement, ne peut être qualifié de vicieux pour le seul motif qu’il se trouve à proximité d’une ligne électrique à basse tension » (J.P. Charleroi, 2ème canton, 9 février 2009). Mais tout est fonction des circonstances propres à chaque ces d’espèce, et la Cour d’appel de Liège a retenu la responsabilité d’une commune propriétaire d’arbres pour le dégât causé par le frottement d’arbres qu’elle avait laissé pousser jusqu’à ce qu’ils touchent des fils électriques isolés et les usent par frottement (Liège, 10 juin 2005, Rev.rég, dr., 2005, p. 220 à 222). Il reste qu’en principe, c’est au gestionnaire de réseau qu’il appartient de veiller à la sécurité de ses installations.
En dehors de l’idée de responsabilité, qui implique l’existence d’une faute, la théorie dite des troubles excessifs de voisinage permet parfois d’obtenir le rétablissement de l’équilibre rompu, non par l’effet d’un comportement fautif, mais par celui d’un trouble tenu pour dépassant les limites de ce qu’un voisin doit normalement supporter. Dans la décision citée plus haut, le juge de paix du second canton de Charleroi ne retient pas l’existence d’un trouble excessif parce que le gestionnaire de réseau connaissait l’existence des arbres et, forcément, leur vocation à grandir, lorsqu’il installa les lignes électriques.
En résumé c’est, en règle, le gestionnaire du réseau qui, titulaire d’une servitude, doit veiller à la sécurité de ses installations et à l’entretien de la servitude. Son devoir, en dehors des cas d’urgence, d’inviter le propriétaire de l’arbre à l’élaguer n’a pas pour effet de faire basculer sur ce dernier l’obligation de veiller à la sécurité du réseau: il procède juste de la volonté de permettre au propriétaire de l’arbre de l’élaguer lui-même s’il le préfère.
Petite précision: quand les lignes électriques se trouvent sur le domaine public, c’est sur le propriétaire de l’arbre dont les branches surplomberaient le domaine public que pèse en principe l’obligation d’élaguer.