Le bail à ferme réformé et les baux écrits en cours

Par son arrêt du 2 mars 2023, la Cour constitutionnelle fait perdre une vaine espérance aux bailleurs titulaires d’un bail écrit en cours.

Chronique d’une mort annoncée

L’on sait que depuis le 1er janvier 2020, date d’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 réformant la loi sur le bail à ferme en Région wallonne, les baux à ferme sont retournés au régime du terme extinctif. Alors qu’auparavant ces baux étaient prorogés de plein droit au terme de chaque période à défaut d’un congé valable, dorénavant, sauf cause de renouvellement, ils s’éteignent de plein droit après trois prorogations, c’est-à-dire après trente-six ans si la durée de la première période a été fixée à neuf ans.

Qu’est-ce donc qui a pu pousser certains bailleurs à croire, au lendemain de la réforme du bail à ferme en Région wallonne, qu’ils pourraient presque immédiatement retrouver, comme par miracle et par le seul effet de ce changement de régime, la libre disposition de leurs terres s’ils étaient titulaires d’un bail écrit ayant pris cours plus de trente-six ans avant le 1er janvier 2020, date d’entrée en vigueur du nouveau décret? Ils devaient bien savoir qu’une telle espérance eut été vaine si leur bail avait été verbal, puisqu’en vertu du décret les baux verbaux en cours sont censés entamer une troisième période de neuf ans à la date d’entrée en vigueur du décret (art. 52, alinéa 5). Comment un bail écrit aurait-il pu être traité plus sévèrement, au moment même où le législateur se disait soucieux d’encourager le recours à l’écrit?

L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 2 mars 2023

Par son arrêt du 2 mars 2023, la Cour constitutionnelle confirme ce qui paraissait bien inéluctable, à savoir qu’il était vain de spéculer sur une application immédiate du régime du terme extinctif aux baux écrits en cours depuis trente-six-ans au moins là où les baux verbaux en cours se voyaient, eux, reconduits pour dix-huit ans minimum. Ce n’est pas, dit la Cour, que ces bailleurs se soient trompés en considérant que le nouveau décret leur donnait techniquement le droit de tabler sur une extinction du bail au terme de l’année qui était en cours au moment de leur congé: à défaut d’une mesure transitoire pour les baux écrits, le décret est d’application immédiate en ce qu’il protège les intérêts des bailleurs. Mais « L’absence de mesure transitoire pour les baux écrits en cours porte une atteinte disproportionnée aux attentes légitimes des preneurs de baux écrits en cours depuis au moins 36 ans au 1er janvier 2020 pour lesquels la limitation de la durée de principe du bail à ferme à 36 ans est une règle nouvelle qui modifie substantiellement l’équilibre initial du contrat, tout comme pour les preneurs de baux oraux en cours.

La Cour constitutionnelle observe en son arrêt que, averti au cours des travaux préparatoires des difficultés posées par l’application du nouveau régime aux baux en cours, le législateur décrétal devait bien être conscient de la nécessité d’adopter des mesures transitoires. Elle considère que ces mesures n’ont été prises que pour les baux oraux, et constate que les travaux préparatoires du décret ne permettent pas de savoir pourquoi aucune mesure n’a été prise pour les baux écrits. Elle en déduit que la différence de traitement entre baux oraux et baux écrits n’est pas raisonnablement justifiée, et invite le législateur wallon à prévoir un régime transitoire pour les baux écrits pour le 31 décembre 2023 au plus tard. En attendant, les juridictions à l’origine des questions préjudicielles sont invitées à traiter les baux écrits en cours comme le seraient des baux oraux.

Portée de l’arrêt

Faut-il déduire de cette invitation adressée aux juridictions de fond qu’elles devront dire pour droit que les baux soumis à leur examen sont reconduits pour une troisième période et que, sauf cause de renouvellement ou congé, ils s’éteindront le 31 décembre 2037? Ce serait préjuger de ce que décidera le législateur wallon. La Cour constitutionnelle n’a d’autre souci que de ne pas voir traités les baux écrits plus sévèrement que les baux oraux, de sorte que les actions en contestation devront probablement, sans plus, être jugées fondées et les demandes reconventionnelles en validation de congé, non fondées. La définition du sort et de l’issue des baux écrits sera du seul ressort du Parlement wallon.

Du travail pour le Parlement wallon

Il faut souhaiter que le Parlement wallon mette à profit l’invitation de la Cour constitutionnelle pour revoir le décret plus largement qu’en en limitant l’examen à la seule question de son application aux baux écrits en cours. Il serait notamment souhaitable que soit précisé le sens de l’alinéa 4 de l’article 52 du décret, disposition que la Cour constitutionnelle se contente de citer sans s’interroger sur son sens, pour conclure qu’aucune mesure transitoire n’existait pour les baux écrits. La volonté du législateur wallon n’était-elle pas que le régime ancien reste applicable aux baux écrits en cours jusqu’à ce qu’intervienne une cause de renouvellement? Existe-t-il, oui ou non, un lien entre l’alinéa 4 et les alinéas 5 et 6 de l’article 52? Sinon, pourquoi l’alinéa 4 est-il cité dans l’arrêt de la Cour, comme s’il exerçait une force d’attraction? Et qu’entend le législateur wallon lorsqu’il subordonne la présomption des alinéas 5 et 6 à la condition qu’un bail écrit ne soit pas « intervenu » dans le délai de cinq ans? L’intervention d’un tel bail ne peut-elle être l’effet que d’un accord entre parties, ou bien l’une d’elles peut-elle la forcer, sachant toutefois qu’en son alinéa 1er, l’article 52 du décret limite l’application de l’article 3 réformé aux baux conclus après son entrée en vigueur? Pourquoi cette limitation alors que l’article 3 réformé offre aux deux parties un droit bienvenu à la rédaction forcée d’un écrit? Et quid du droit nouveau, offert à l’acquéreur, de donner congé dans les trois mois de son acquisition pour motif d’exploitation personnelle, avec un préavis limité à six mois, quand le bail n’a pas date certaine? N’est-il pas discriminatoire également et contraire aux anticipations légitimes du preneur titulaire d’un bail sans date certaine conclu avant l’entrée en vigueur du décret? Que faut-il entendre par « date certaine »? Un bail écrit daté mais non enregistré est-il privé de date certaine alors que sa date ne fait raisonnablement aucun doute? De même, un bail verbal mais qui a fait l’objet d’une cession privilégiée dont la preuve est rapportée par la production du courrier recommandé?

Autant de questions (il en est d’autres!) dont il serait regrettable de ne pas s’emparer, tant il est vain de professer sa volonté de réduire un contentieux jugé excessif, si l’on ne s’attache pas avant tout à soigner la loi et la rendre claire et intelligible.