Bornage et publicité foncière

Le bornage est-il un acte soumis à transcription à la conservation des hypothèques? Fait-il partie du champ d’application de l’article 141 de la loi hypothécaire et de ses arrêtés d’exécution? Réponse de la Cour de cassation (arrêt du 24 avril 2017).

Le bornage

Le bornage consiste en la délimitation de deux immeubles contigus et dans la pose de bornes ou de tout autre signe de démarcation. Il s’agit à la fois d’un acte juridique, en ce qu’il fixe la ligne séparatrice de deux biens contigus, et d’un acte matériel, en ce qu’il fait apparaître cette ligne sur le sol (HOUYET, E., « Bornage », Rép. not., Tome II, Les biens, Livre 3, Bruxelles, Larcier, 1979, pp. 15 à 17).

Le bornage nécessite toujours la participation des propriétaires (ou titulaires de droit réels) des fonds contigus : il peut être amiable (et résulter de l’accord des parties) ou être judiciaire en vertu de l’article 646 du Code civil selon lequel « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs ».

Le bornage se distingue de l’action en revendication immobilière.

L’action en revendication est celle par laquelle le titulaire d’un droit de propriété (ou plus généralement d’un droit réel) entend faire reconnaître son droit. Lorsque cette action est mise en oeuvre par le propriétaire d’un fonds contre le propriétaire du fonds contigu, elle vise une bande précise et déterminée de terrain contestée. Il ne s’agit pas seulement d’être en désaccord sur les limites d’un terrain.

On parle d’action en bornage lorsque les propriétaires veulent délimiter l’étendue matérielle de leur propriété immobilière. Ils cherchent à remplacer une limite incertaine par une limite certaine, sans contestation de contenance. Dans un bornage, un droit déjà existant est constaté et confirmé. L’action en bornage ne comporte en effet pas de cession de bien ni de modification quant à la jouissance (Civ. Anvers (5e ch.), 14 novembre 2013, J.J.P., 2015, p.611). Selon la doctrine et la jurisprudence majoritaire, le bornage est donc purement indicatif ou déclaratif de délimitation de propriété. On parle de bornage simple.

Une action en revendication peut cependant se greffer à une action en bornage. Dans ce cas, lorsque les parties contestent la propriété d’une partie déterminée d’un terrain à l’occasion d’un bornage, la doctrine et la jurisprudence majoritaires considèrent que le bornage devient translatif (ou déclaratif de droit de propriété). On parle alors de bornage complexe.

La publicité foncière

L’article 1er de la loi hypothécaire prévoit la transcription à la conservation des hypothèques de « tous actes entre vifs à titre gratuit ou onéreux, translatifs ou déclaratifs de droits réels immobiliers » et « des jugements passés en force de chose jugée, tenant lieu de conventions ou de titres pour la transmission de ces droits ».

L’article 141 de la même loi précise les indications qui doivent accompagner la désignation des immeubles faisant l’objet d’un acte ou d’un document sujet à publicité (à savoir ceux qui sont visés l’article 1er de la loi hypothécaire) et confère au Roi la possibilité de compléter ces règles d’identification, possibilité dont il a usé en adoptant l’arrêté royal du 18 novembre 2013. En exécution de cet arrêté royal, un arrêté ministériel de la même date a été adopté.

La question de la transcription du procès-verbal de bornage

La question s’est posée de savoir si les dispositions mentionnées dans le point précédent s’appliquaient au bornage, c’est-à-dire s’il fallait transcrire les procès-verbaux et les plans de bornage. La réponse est controversée.

De nombreux auteurs considèrent que le bornage simple, celui qui n’implique aucune contestation du droit de propriété, est purement conservatoire et de ce fait échappe au champ d’application de l’article 1er de la loi hypothécaire (DEFRAITEUR, V., « Le bornage et la clôture », Guide de droit immobilier, p. I.6.-1 à I.6.2.-3). En effet, le procès-verbal qui se contente de constater la ligne de démarcation des propriétés n’est pas un acte déclaratif de droits réels immobiliers mais seulement et tout au plus un « acte purement déclaratif de délimitation de la propriété » (A. SLAVE, « Bornage – Questions d’actualité et frais », in Chronique de droit à l’usage des juges de paix, 2012, pp. 63 à 66). A contrario, le bornage complexe, celui qui est translatif ou déclaratif de droit de propriété, rend la transcription indispensable. En cas de contestations de propriétés apparues lors d’une action en bornage et tranchées par le juge, le procès-verbal du bornage devra revêtir la forme authentique pour être transcrit (P.-A. RENSON, « La propriété immobilière », Rép. Not., t.II, Livre 2, pp. 87 et 88).

L’arrêt de la Cour de cassation ou la fin d’une controverse

L’arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2017 (C.16.0364.F) rejette le pourvoi après avoir écarté chacun des arguments qui étaient invoqués en faveur de la cassation. L’un d’eux concernait le lien qui existe entre le bornage et la transcription à la conservation des hypothèques.

A la question de savoir si les dispositions de la loi hypothécaire, de l’arrêté royal et de l’arrêté ministériel s’appliquent au plan et au procès-verbal d’un bornage qui n’implique aucune contestation du droit de propriété, la Cour de cassation répond par la négative, mettant ainsi fin à la controverse et rejoignant la thèse de la majorité des auteurs. Selon la Cour en effet « le moyen, qui, en cette branche, est fondé sur le soutènement que, même lorsque le bornage n’implique aucune contestation du droit de propriété, les plans et les procès-verbaux de bornage sont soumis aux formalités de l’article 141 [de la loi hypothécaire] et de ses arrêtés d’exécution, manque en droit ».