Congé pour exploitation « personnelle » au travers d’une société.

Congé pour exploitation personnelle au travers d’une société : un arrêt sibyllin de la Cour de cassation (Cass., 22 décembre 2017).

Un preneur est confronté, en appel, à la validation définitive du congé qui lui avait été donné deux ans plus tôt par sa bailleresse pour permettre au fils de cette dernière d’exploiter personnellement plus de cinq hectares de terres. Le preneur  décide de se pourvoir en cassation parce que le jugement d’appel contient selon lui une contradiction. Pour le juge d’appel, en effet, le fils bénéficiaire du congé peut être considéré comme l’exploitant personnel « même s’il utilise les moyens d’une société pour ce faire ». Et le juge d’ajouter : « Etant par ailleurs actionnaire de cette société, il peut décider d’y apporter les parcelles litigieuses. » On comprend encore à la lecture du jugement que la société a la forme d’une société agricole et que la bailleresse en est elle-même actionnaire, tout comme son fils. En revanche, la lecture de l’extrait du jugement repris dans l’arrêt par lequel la Cour se prononce sur le pourvoi ne permet pas de savoir si le fils bénéficiaire du congé occupe, dans la société, la fonction de gérant.

La personne physique bénéficiaire du congé exploite-t-elle personnellement lorsqu’elle le fait en qualité d’organe ou de dirigeante d’une société, ou en qualité d’associée gérante d’une société agricole à laquelle elle apporte le bail?

 

Pour rejeter le pourvoi du preneur, la Cour de cassation se réfère aux articles 7, 8 et 9 de la loi sur le bail à ferme et à l’article 838, alinéa 1er, du Code des sociétés aux termes duquel « Pour l’application de la loi sur les baux à ferme, l’exploitation au titre d’associé gérant d’une société agricole est assimilée à l’exploitation personnelle. Cette règle s’applique tant au preneur qu’au bailleur dont les droits et obligations subsistent intégralement. » La Cour déduit de ces dispositions que « si le bailleur ne peut mettre fin au bail en vue de céder l’exploitation à une société, la personne physique à qui l’exploitation est cédée satisfait à la condition d’exploiter personnellement le bien lorsqu’elle le fait en qualité d’organe ou de dirigeant d’une société ou d’associé gérant d’une société agricole à laquelle elle apporte le bail. »

Un arrêt troublant

Cet arrêt étonne à un double titre : d’abord en ce qu’il retient que la personne physique à qui l’exploitation est cédée satisfait à la condition d’exploiter personnellement quand elle le fait en qualité d’organe ou de dirigeant d’une société (quelle que soit sa forme), ensuite en ce qu’il estime que la même personne bénéficiaire d’un congé satisfait à la condition d’exploiter personnellement quand elle exploite en tant que gérante d’une société agricole « à laquelle elle apporte le bail ».

Dans un arrêt du 13 octobre 2006, la Cour de cassation avait justement décidé que viole les articles 7, 1°, 8, § 1er et 2 et 9 de la loi sur le bail à ferme le jugement qui décide de valider le congé donné par un père pour permettre à son fils de poursuivre l’exploitation au travers d’une société privée à responsabilité limitée dont il était le gérant. Il paraît très clair, en effet, que lorsque le fils doit poursuivre l’exploitation au travers d’une société, c’est la société qui exploite personnellement, et non le fils. Il faut donc une disposition spéciale comme l’article 838 du Code des sociétés pour « assimiler » l’exploitation en qualité de gérant d’une société agricole à une exploitation personnelle. Mais même en pareil cas le bénéficiaire du congé, s’il exploite lui-même au travers d’un bail, ne peut en faire l’apport à la société puisque, d’après l’article 796 du Code des sociétés, les droits et obligations du preneur qui découlent d’un bail à ferme ne peuvent pas faire partie des apports en nature.