Coronavirus: le doute et la loi en temps de crise

En ce temps de pandémie,  jugé tellement dur qu’on risque parfois la comparaison avec les temps de guerre, est-il permis de douter et quel est le sens de la loi?

Ce qu’est réellement une guerre n’est accessible à la plupart d’entre nous ni dans l’espace, ni dans le temps. La guerre est d’ailleurs, ou d’une autre époque. Impossible d’en approcher l’idée sans avoir été atteint dans sa propre chair, sauf à pouvoir rejoindre l’autre au creux de sa souffrance, exercice peu habituel et peu commode, hélas, dans les sociétés riches, faute d’y côtoyer suffisamment la mort. La guerre chasse les nuances. Ceux qui ne sont pas vos amis sont vos ennemis. On doute tant qu’on ne se sent pas en guerre, il arrive même qu’on se mette à douter de tout… sauf de la nécessité de douter (Marylin Maeso, Les conspirateurs du silence) et de la fécondité du doute en certaines circonstances.

Même Descartes, grand promoteur du doute hyperbolique, invitait à ne pas se lancer dans cette redoutable aventure sans se pourvoir de l’abri, fût-il précaire, d’une « morale provisoire » (René Descartes, Discours de la méthode, 3ème partie).

La justification qu’il en donne mérite d’être rappelée au moment où l’on affiche volontiers son scepticisme face aux mesures par lesquelles le politique tente, certes vaille que vaille, de gérer la crise du coronavirus. Il s’agissait, pour Descartes, de ne point demeurer irrésolu dans ses actions pendant que la raison oblige de l’être en ses jugements, et de vivre le plus heureusement que l’on peut.

Qu’en est-il donc de cette « morale par provision » (Pour approfondir, voir notamment Florian COVA: Pour une morale par provision)?

Elle se résume en trois maximes:

  • Obéir aux lois et aux coutumes de son pays et se gouverner suivant les opinions les plus modérées, les plus éloignées de l’excès, et qui sont communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels on a à vivre, ce qui implique que l’on soit davantage attentif à ce qu’ils pratiquent qu’à ce qu’ils disent;
  • Etre dans ses actions le plus résolu et le plus ferme qu’on le peut, au point de suivre les opinions les plus douteuses avec autant de constance que si elles étaient assurées, une fois qu’on s’y est déterminé;
  • s’efforcer toujours de se vaincre plutôt que la fortune, préférer changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde.

Ces trois maximes ne sont pas à prendre pour parole d’évangile, puisqu’elles ne procèdent que d’une « morale provisoire ». On objectera à la première qu’elle peut mener à une sorte de sommeil bourgeois, à la deuxième, que seuls les sots ne changent jamais, à la troisième, que le désir lui-même est une sorte de loi, et qu’il peut être regrettable de le brimer. Descartes a réponse à tout cela: allez voir, cela en vaut la peine. En attendant doutons, doutons de tout, mais montrons-nous résolus dans nos actions, et conscients que la loi, dans un Etat de droit, est là pour que les plus faibles puissent, eux aussi, prétendre au bonheur.