Dégâts de gibier aux pelouses

Le propriétaire d’une pelouse d’agrément a le droit d’obtenir réparation de dégâts causés par des sangliers. D’après la Cour constitutionnelle la loi, ainsi interprétée par la Cour de cassation, n’est pas discriminatoire.

La loi du 14 juillet 1961, adoptée « en vue d’assurer la réparation des dégâts causés par le gros gibier », énonce en son article 1er que « Les titulaires du droit de chasse répondent du dommage causé aux champs, fruits et récoltes par les cervidés, chevreuils, daims, mouflons ou sangliers provenant des parcelles boisées sur lesquelles ils possèdent le droit de chasse, sans qu’il ne puissent invoquer le cas fortuit, ni la force majeure. »

Il résulte des travaux préparatoires de cette loi que « (Son) but essentiel est de permettre d’indemniser des cultivateurs appartenant à des régions déshéritées ou les plus pauvres du Luxembourg et où les dégâts sont limités à un territoire assez restreint, et également de permettre l’indemnisation des dégâts causés par le gros gibier ».

L’on pouvait donc penser qu’il s’agissait uniquement de mettre des agriculteurs, vivant de leur production agricole, à l’abri des difficultés de preuve en instituant une présomption irréfragable (indiscutable, inattaquable) de responsabilité des titulaires d’un droit de chasse ou du propriétaire de la parcelle d’où s’échappe le gibier. Mais des propriétaires de pelouses d’agrément ont un jour sollicité, eux aussi, la réparation des dégâts causés à leur pelouse. Leur initiative les a conduits jusqu’à la Cour de cassation et celle-ci, à deux reprises au moins, a confirmé que les « fruits » visés par la loi du 14 juillet 1961 doivent s’entendre dans un sens large incluant le gazon des pelouses. Au terme d’une plaisante digression terminologique, dans l’affaire qui conduisit à un arrêt du 16 juin 2006, l’Avocat général avait conclu que les « champs, fruits et récoltes » devaient se comprendre en un sens strict excluant les pelouses d’agrément, mais la Cour de cassation ne l’avait pas suivi. Pour la Cour, le droit d’obtenir réparation sur base de la loi de 1961 s’étendait aux dommages causés « à toute végétation cultivée en dehors des parcelles boisées, notamment aux pelouses destinées à l’agrément ».

Cette position fut confirmée dans un arrêt du 11 octobre 2013 par lequel la Cour cassa, pour violation de l’article 1er de la loi du 14 juillet 1961, un jugement qui avait décidé que « la référence aux termes ‘champs, fruits et récoltes’ exclut […] la réparation des dommages qui ne sont pas causés à des terres destinées à la culture mais aux forêts, terrains de sport, jardins d’agrément ou à tous autres terrains destinés à un autre usage ».

Restait à savoir si, ainsi interprété par la Cour de cassation dans un sens large incluant les propriétaires de pelouses d’agrément, l’article 1er de la loi du 14 juillet 1961 ne devenait pas discriminatoire. La ville de Huy, propriétaire d’un bois, s’est ainsi plainte d’avoir été traitée pour une pelouse comme elle aurait accepté de l’être pour un champ cultivé. Notre Cour constitutionnelle lui donne tort. Dans un arrêt du 9 novembre 2017, elle rappelle que la loi du 14 juillet 1961 répond surtout à la volonté de ne pas exposer les personnes victimes de dégâts causés par le gros gibier à des difficultés de preuve. « Compte tenu de cet objectif, observe la Cour, il n’est pas sans justification raisonnable de traiter de manière identique les titulaires d’un droit de chasse ou les propriétaires de parcelles boisées sur lesquelles un droit de chasse est exercé, que les dommages soient causés par le gros gibier à des champs, fruits et récoltes ou à des pelouses d’agrément. En effet, la circonstance que les dommages soient causés à des pelouses d’agrément ne permet pas de justifier que les victimes ne puissent être indemnisées des dommages ainsi causés à leur propriété par le gros gibier, tout comme le sont les personnes lésées qui sont propriétaires de terrains d’exploitations agricoles alors qu’elles sont placées dans des situations identiques. »
La Cour ajoute que l’atteinte ainsi portée aux droits des titulaires de droits de chasse et des propriétaires de parcelles boisées n’est pas disproportionnée, d’une part parce qu’ils ont la possibilité de se retourner contre d’autres titulaires de droit de chasse, d’autre part, parce que le régime de prescription est très strict (il faut agir dans les six mois !), enfin parce que l’indemnisation ne se justifiera jamais en cas d’abus de droit.