Le bail à ferme réformé: aperçu des modifications saillantes.

Le décret du 1er mai 2019 sur la réforme du bail à ferme en Wallonie entre en vigueur le 1er janvier 2020. Nous donnons ici un aperçu global  du nouveau régime avant de faire, dans de prochains articles, un zoom sur chacun des grands axes de la réforme.

Les cohabitants légaux alignés sur les conjoints

Dans toutes les dispositions de la loi où il était question d’un conjoint, les droits ou avantages qui lui étaient attribués sont étendus au cohabitant légal visé à l’article 1475 du Code civil, pourvu que la cohabitation soit ancienne d’au moins deux ans. (Loi réformée, art. 2bis)

Les notifications

La loi actuelle retenait deux procédés pour les congés et autres notifications: le recommandé postal et la signification par voie d’huissier de justice. Au 1er janvier 2020, d’autres possibilités d' »envois » s’ajoutent au recommandé postal: courrier électronique daté et signé, envoi par des sociétés privées contre accusé de réception ou dépôt contre récépissé. La signification par exploit d’huissier subsiste. (Loi réformée, art. 2ter et 57)

La preuve du bail

Le bail à ferme pourra toujours être prouvé par toutes voies de droit. Le bail verbal reste valable, mais les avantages qui seront attachés au bail écrit sont tellement grands que le recours à l’écrit – acte sous seing privé ou acte authentique – deviendra pratiquement incontournable. Du coup, le décret wallon institue une action en rédaction forcée d’un écrit. Tant le bailleur que le preneur peuvent y recourir pour se forcer mutuellement à dresser acte de leur convention ou à compléter un acte existant. (Loi réformée, art. 3).

La durée du bail: fin de la « quasi-perpétuité »

On se plaignait beaucoup du caractère « quasi-perpétuel » du bail à ferme. Dorénavant, sous réserve de l’incidence des possibilités de renouvellement prévues par la loi (cession privilégiée, transmission privilégiée du bail consécutive au décès du preneur, renouvellement consécutif à l’exercice du droit de préemption par un cessionnaire de ce droit), les baux s’éteindront au terme de trois renouvellements. Ainsi un bail à ferme ordinaire de neuf ans s’éteindra-t-il, en l’absence de renouvellement, au terme de sa trente-sixième année, ou si l’on préfère au terme de la quatrième période d’occupation.

Nouvelles possibilités de baux: le bail de courte durée et le bail de fin de carrière

Deux nouveaux baux sont proposés aux propriétaires ou usufruitiers: le bail dit de « courte durée », d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, et le bail de « fin de carrière ». Le premier ne peut être conclu que dans des cas bien précis, dans lesquels le ou les propriétaire(s) concernés auraient peut-être hésité à conclure un bail à ferme en dépit des avantages liés à l’entretien et à une certaine rentabilisation de leur bien. Avec le deuxième on encourage le bailleur, lorsqu’il est sur le point de retrouver la disposition de son bien, à accorder un complément au preneur afin de lui permettre de boucler sa carrière, si celui-ci n’a pas atteint au terme du bail en cours l’âge légal de la pension. (Loi réformée, art. 8, § 4 et 5)

Nouveau motif de congé: le congé pour vendre deux hectares ou le dixième du bien loué.

La loi réformée offrira au bailleur la possibilité de mettre fin au bail à ferme à tout moment et avec un préavis réduit à six mois en vue de vendre une parcelle, une partie de parcelle ou un bloc de parcelles. Il ne pourra exercer ce droit que si le preneur a déjà pu jouir du bien loué durant trois ans, et pour une superficie correspondant à deux hectares ou au dixième de l’ensemble de la superficie louée, si elle constitue un bloc. (Loi réformée, art. 6, § 4)

Le congé pour exploitation personnelle

Pas de modification substantielle pour le motif de congé fondé l’intention d’exploiter personnellement, mais un article 10bis rédigé comme suit est ajouté à la loi:

« Pour l’application de la présente section, l’exploitation à titre d’associé gérant d’une SNCEA, d’associé commandité d’une SCommEA, d’administrateur d’une SRLEA ou d’administrateur d’une SCEA, est assimilée à l’exploitation personnelle. Cette règle s’applique tant au preneur qu’au bailleur, dont les droits et obligations subsistent intégralement.

« En cas d’apport de la propriété, du droit d’usage ou du droit de jouissance du bien loué par le bailleur dans une SNCEA, une SCommEA, d’une SRLEA ou d’une SCEA, cette société ne peut donner le congé que si le bailleur-apporteur, son conjoint, son cohabitant légal, ses descendants ou enfants adoptifs ou ceux de son conjoint ou ceux de son cohabitant légal, ont, selon le cas, le statut d’associé gérant, d’associé commandité ou d’administrateur dans la société. »

A noter quand même que des « superficies minimales de rentabilité » sont ajoutées aux superficies maximales. Le juge de paix pourra donc refuser de valider un congé de nature à porter un coup fatal à l’exploitation du preneur. (Loi réformée, art. 12.7)

Procédure consécutive à un congé: l’initiative revient dorénavant au preneur

Ce point particulier de la réforme doit retenir l’attention, eu égard à l’inertie qui est attachée aux habitudes. En l’absence d’acquiescement du preneur, qui disposait pour cela d’un délai de trente jours, il revenait au bailleur de poursuivre la validation de son congé en veillant au respect des règles de procédure et des délais. La situation sera renversée pour les congés notifiés à partir du 1er janvier 2020: c’est au preneur qu’il appartiendra de réagir dans les trois mois suivant le congé, à défaut de quoi le congé sera irrévocablement valable. (Loi réformée, art. 12, § 4).

Preneur pensionné

La loi du 7 novembre 1988 s’était déjà attaquée à la problématique du preneur pensionné. Le décret wallon renforce les conditions auxquelles le preneur peut se protéger du congé à préavis réduit à un an dont la loi offre la possibilité au bailleur quand son locataire a atteint l’âge légal de la pension, perçoit effectivement une pension et ne peut désigner aucun proche comme étant susceptible de reprendre son exploitation. Désormais, si le preneur désigne l’un de ses proches, celui-ci devra reprendre l’exploitation dans les trois ans du congé, faute de quoi le bail sera résilié sans nouveau préavis. (Loi réformée, art. 8bis)

En outre, la loi réformée se fermera sur un nouvel article 57bis ainsi rédigé:

« A partir du moment où le preneur a atteint l’âge légal de la pension, le bailleur ou l’officier instrumentant peut interroger celui-ci afin de déterminer s’il bénéficie d’une pension de retraite ou de survie, dans les formes prévues à l’article 57. Si le preneur n’apporte pas, dans les deux mois de la demande, la preuve qu’il est toujours en activité et qu’il ne perçoit pas une pension de retraite ou de survie ou s’il ne précise pas, le cas échéant, une personne mentionnée à l’article 34 comme pouvant poursuivre son exploitation, celui-ci est alors réputé bénéficier d’une pension de retraite ou de survie. »

Le fermage

Les avantages financiers et fiscaux des baux consentis pour une première période de plus longue durée que la durée ordinaire de neuf ans sont revues à l’article 3/1 du décret limitant les fermages.

Biens des administrations et établissements publics

Preneur pensionné

Les facilités de congé octroyées au bailleur quand le preneur a atteint l’âge légal de la pension, bénéficie d’une pension et ne peut désigner aucun proche susceptible de poursuivre l’exploitation sont élargies quand le bailleur est une administration ou un établissement public: là où le bailleur doit en motiver le congé en faisant part de son intention d’exploiter personnellement, l’administration ou l’établissement public en sont dispensés.

Procédure d’adjudication d’un bail à ferme

La procédure d’adjudication d’un bail à ferme par une administration ou un établissement publics est revue à l’article 18 de la loi réformée.

Liberté de culture et clauses environnementales

La liberté de culture est maintenue en son principe, mais les administrations et établissements publics disposeront du droit de la restreindre pour des motifs liés à la préservation du bien, à la protection de l’environnement et à la volonté de tenir compte des objectifs et des fonctions de l’agriculture tels qu’ils sont définis à l’article D.1 du Code wallon de l’Agriculture. (Loi réformée, art. 24)

Cession du bail, sous-location, échanges de cultures

L’article 30 de la loi réformée maintient le droit de conclure des échanges sans risque qu’ils passent pour des sous-locations pourvu, bien sûr, qu’il s’agisse d’échanges véritables et sincères, et non de sous-locations déguisées. Mais à peine de nullité elle contraint le preneur à notifier au bailleur les échanges qu’il a conclus et lui impose de communiquer à leur propos une série d’informations. Un droit d’opposition du bailleur est institué.

Un nouvel article 30bis impose pareillement à la partie bailleresse de notifier au preneur les changements qui interviendraient dans son chef.

La cession privilégiée, qui n’avait jamais fait l’objet d’une définition légale, est aujourd’hui décrite comme la cession du bail à l’un des proches privilégiés du preneur lorsque, notifiée au bailleur dans les trois mois de l’entrée en jouissance du cessionnaire, elle est susceptible de provoquer un renouvellement du bail. (Loi réformée, art. 2bis, 2°). Le décret wallon aligne en outre les possibilités de cession privilégiée sur les conditions de reprise pour exploitation personnelle. La cession privilégiée n’est ainsi plus possible qu’au profit d’un proche remplissant l’une des conditions suivantes:

1° être porteur d’un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole;

2° poursuivre un cursus depuis un an au moins en vue d’obtenir un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole;

3° être exploitant agricole ou l’avoir été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années.

Un article 36bis ainsi rédigé est en outre ajouté à la loi:

« Lorsque le bailleur notifie au preneur son souhait d’aliéner un droit réel sur le ou les biens sur lesquels un contrat de bail à ferme est en cours, toute cession privilégiée intervenant dans les neuf mois suivant cette notification est inopposable au bailleur et au tiers acquéreur.

« Lorsque l’aliénation n’est pas réalisée dans cette période de neuf mois, le bailleur peut faire usage à nouveau du régime prévu à l’alinéa 1er, uniquement après l’expiration d’un délai de trois ans, sauf accord des parties, prenant cours à l’expiration de la période conservatoire de neuf mois prévue à l’alinéa 1er. »

L’état des lieux

L’obligation de dresser un état des lieux à l’entrée comme à la sortie est renforcée. L’état des lieux doit être détaillé. Il est annexé au contrat de bail écrit et est également soumis à enregistrement. Le Gouvernement en fixe le contenu minimal et prévoit le type d’analyse de sols nécessaires à sa réalisation. A défaut d’accord entre les parties sur son établissement dans les trois mois qui suivent l’entrée en jouissance du preneur ou du cessionnaire, le juge de paix, par jugement non susceptible d’appel, peut désigner un expert pour le dresser. (Loi réformée, art. 45.6)

Aliénation du bien loué

Dans le régime actuel, l’idée était que l’aliénation du bien loué n’entraînât aucune rupture dans le cours du bail. L’acquéreur était purement et simplement subrogé aux droits et obligations du bailleur. Cet avantage sera dorénavant réservé aux baux constatés dans un écrit ayant date certaine au sens de l’article 1328 du Code civil. Le bail qui n’aurait pas date certaine serait purement et simplement inopposable à l’acquéreur dans l’hypothèse où il aurait été conclu moins d’un an avant la vente. Le bail plus ancien sera opposable, mais l’acquéreur aura, pendant trois mois à compter de la vente, le doit d’y mettre un terme avec un préavis réduit à six mois pour motif d’exploitation personnelle. C’est ici que se marque le plus l’intérêt de faire constater la convention de bail dans un écrit. (Loi réformée, art. 55)

Droit de préemption

Pas de changements fondamentaux pour ce qui concerne le droit de préemption. On retiendra que le cas du preneur pensionné, bénéficiant d’une pension et qui ne peut désigner aucun proche pour la reprise de son exploitation est intégré aux exceptions au droit de préemption. La loi est en outre adaptée pour tenir compte des ventes « dématérialisées », c’est-à-dire des ventes publiques réalisées par voie électronique.

Mesures transitoires

Des mesures transitoires malheureusement rédigées dans des termes peu clairs tentent de régir le sort des baux qui seront en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi.

Brochure de la Direction de l’Aménagement foncier rural

Une brochure sur les grandes lignes de la réforme du bail à ferme a été éditée par la Direction de l’Aménagement foncier rural. On peut la consulter directement ici: Brochure Bail-a-ferme