Réforme du bail à ferme: faut-il imposer la preuve écrite?

La cour de cassation vient de rendre, à propos de la preuve d’un bail à ferme, un arrêt éclairant et précieux dans un contexte de réforme.

Notre Cour de cassation a prononcé, le 4 janvier 2018, un arrêt qui peut être regardé comme éclairant et bienvenu au regard des critiques dont a fait l’objet le régime actuel de la preuve en bail à ferme au cours des auditions de l’automne 2017 au Parlement wallon.

Sous le coup d’un jugement qui, en appel, consacrait définitivement l’existence d’un bail à ferme sur base de présomptions, un propriétaire s’était plaint de la différence de traitement qui lui était imposée par la loi. Il avait invité la Cour de cassation à poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle dont l’arrêt ne permet que de deviner la formulation. En substance, il reprochait aux juges d’appel d’avoir illégalement conclu à l’existence d’un bail à ferme sur base de simples présomptions, en faisant donc application des règles de preuve dérogatoires au droit commun qui n’autorise à faire preuve d’une convention que par la production d’un écrit. D’après lui, la différence de traitement ainsi instituée en faveur du preneur sur le plan de la preuve ne pouvait se justifier qu’en présence d’une tentative avérée de contournement de la loi, d’une fraude à la loi ou d’un abus de pouvoir.

La Cour de cassation refuse de soumettre la question préjudicielle à la Cour constitutionnelle parce que sa formulation indique que le propriétaire est, en droit comme en fait, « à côté de la plaque ». En fait, si discrimination il y a, ce n’est que sur le plan de la preuve de l’existence du bail et de ses conditions, or rares sont les propriétaires qui tiennent absolument à pouvoir établir l’existence d’un bail, et tel n’était pas le cas en l’espèce puisqu’il s’agissait au contraire de résister à une prétention au bénéfice d’un bail à ferme. Or en droit, si le propriétaire n’a pas les facilités de preuve reconnues à l’exploitant lorsqu’il s’agit de faire la preuve de l’existence d’un bail, il a par contre accès à la preuve par toutes voies de droit chaque fois qu’il s’agit de contredire et de dénier, c’est-à-dire d’apporter la preuve contraire.

Le régime de la preuve en bail à ferme

Aux termes de l’articles 3 de la loi sur le bail à ferme:

1° Le bail doit être constaté par écrit. A défaut de date précise de la prise de cours de la convention le bail est censé avoir pris cours à l’échéance du premier fermage.

A défaut de pareil écrit, celui qui exploite un bien rural pourra fournir la preuve de l’existence du bail et de ses conditions par toutes voies de droit, témoins et présomptions compris.

En outre, il a la faculté de prouver l’existence du bail en produisant une preuve d’offre personnelle de paiement du fermage, conformément à l’article 23, alinéa trois, contre laquelle le bailleur n’a pas réagi dans un délai de six mois, prenant cours au moment de l’offre, par une demande en conciliation devant le juge de paix compétent. Cette offre de paiement mentionnera expressément le terme  » bail  » et l’année à laquelle le paiement se rapporte.

Elle doit être confirmée dans les quinze jours par l’envoi d’une lettre recommandée à la poste dans laquelle mention est faite de l’existence d’un bail ainsi que de l’année et de la parcelle concernées par le paiement. La lettre doit également indiquer expressément que le paiement vaut preuve de l’existence d’un bail, sauf si le propriétaire réagit dans un délai de six mois à partir du jour du paiement par une demande en conciliation devant le juge de paix compétent. Si le montant du fermage convenu n’est pas établi, il est déterminé par le juge, conformément aux dispositions limitant les fermages.

2° S’il existe un écrit autrement formulé, celui qui exploite un bien rural peut fournir la preuve de l’existence d’un bail et des conditions par toutes voies de droit, témoins et présomptions compris.

Faveur à la preuve écrite – Portée de la règle

Le législateur a tenu à dire sa préférence pour l’écrit. En dehors des cas assez rares, heureusement, de pures voies de fait consistant, pour un exploitant, à s’emparer d’un bien en dehors de toute autorisation ni même discussion, l’exploitation d’un bien rural est en principe le résultat d’un accord, quelle qu’en soit la portée. Le propriétaire étant à ce moment en position de force, puisqu’il lui revient de donner ou de refuser son consentement, c’est à lui qu’il incombe d’imposer la rédaction d’un écrit. Il serait trop facile d’écarter toute prétention au bail à ferme en tirant argument de l’absence de convention écrite. La loi permet donc à celui qui exploite un bien rural, s’il prouve qu’il l’exploite comme un agriculteur, d’apporter la preuve du bail à ferme par témoins, voire par présomptions. Ainsi la preuve d’un bail à ferme peut-elle être déduite d’une série d’éléments qui, considérés isolément, ne seraient pas suffisants mais qui, ajoutés les uns aux autres, finissent par emporter la conviction du juge.

L’offre personnelle de paiement d’un fermage

En 1988 le législateur a institué ce qu’on appelle une présomption « irréfragable » de l’existence d’un bail. Cette présomption est autosuffisante, et on peut l’admettre tant elle est claire. Il s’agit du paiement d’un fermage reprenant clairement la mention « bail » et l’année à laquelle le paiement se rapporte, s’il est suivi dans les quinze jours d’une lettre recommandée contenant les mêmes mentions et l’avertissement qu’à défaut d’une contradiction dans le délai de six mois par le dépôt d’une requête en conciliation, le paiement vaut preuve définitive de l’existence d’un bail à ferme.

L’écrit « autrement formulé »

Tout comme il serait trop facile, pour un propriétaire, de faire échec à une prétention au bail à ferme en tirant argument de
l’absence d’écrit, il ne peut suffire, pour écarter la thèse du bail à ferme, de produire un écrit « autrement formulé », c’est-à-dire une convention qui serait présentée comme un prêt à usage, comme un contrat saisonnier ou comme une vente d’herbe, par exemple. La production de pareil écrit ne prive donc pas l’exploitant d’un bien rural de la possibilité de faire preuve, par toutes voies de droit, de l’existence d’un bail à ferme.

Les propositions de réforme tendant à imposer l’écrit ne seraient-elles pas fondées sur une mauvaise compréhension de la loi et de sa portée?

Le régime de la preuve applicable au bail à ferme, tel qu’il a été mis en place en 1969 puis en 1988, nous semble sain et bien réfléchi. Les critiques dont il fait l’objet procèdent la plupart du temps d’une compréhension insuffisante, d’un malentendu sur la portée réelle de la loi, même lorsqu’elles viennent de juristes. Il n’en est que plus étonnant de les voir relayées par la plus importante des associations de défense des agriculteurs: rendre l’écrit obligatoire au point d’en faire dépendre entièrement l’existence même du bail, c’est abandonner l’exploitant au bon vouloir du propriétaire et, contrairement à ce que l’on soutient, décourager complètement la rédaction d’un écrit lorsqu’il s’agit de constater une convention répondant à la définition du bail à ferme. Telle est en quelque sorte l’idée autour de laquelle se déploie l’avis de l’avocat général Ria MORTIER précédant l’arrêt du 4 janvier: « La dérogation aux règles de droit commun, et plus généralement au principe de l’égalité des parties devant la charge de la preuve, constitue une sanction à l’égard du bailleur qui n’a pas demandé d’écrit et est justifiée par la volonté d’éviter que l’absence d’écrit suffise à échapper à l’application de la loi. Suivant le législateur, le bailleur pourrait toujours, en pratique, refuser de faire dresser un écrit cependant que le preneur ne dispose d’aucun moyen contraignant, face à un refus persistant du bailleur, d’en faire dresser un. Le législateur considère que l’exploitant est dans une position plus faible et qu’il doit être protégé. »