Accès à la terre, exploitation de sapins de Noël et bail à ferme

La question de l’accès à la terre est aussi épineuse – a fortiori, dirait-on volontiers – pour les producteurs de sapins de Noël. La loi sur le bail à ferme, qui constitue une réponse politico-juridique parmi d’autres au problème de l’accès à la terre, traite de cette activité en son article 10.

La Wallonie produit chaque année cinq millions de sapins de Noël pour un chiffre d’affaires de soixante millions d’Euros. Un millier de personnes tirent directement ou indirectement leur revenu de ce secteur. La plupart des sapins produits (85 %) partent à l’exportation. Le reste est vendu en Belgique, le pays de production qui occupe, semble-t-il, la troisième place sur le marché européen du sapin de Noël. Or « Le principal frein à notre croissance, déclarait un producteur à un journaliste du Soir (Le Soir du 2 décembre 2017), c’est l’accès à la terre. »

La loi sur le bail à ferme offre-t-elle une solution? Un arrêt prononcé par la Cour de cassation le 23 avril 2018 donne prétexte à rencontrer cette question.

Bail à ferme, sylviculture et arboriculture

La sylviculture, c’est-à-dire l’exploitation rationnelle des arbres forestiers, échappe au champ d’application de la loi sur le bail à ferme (art. 1er). Elle n’est pas considérée comme une forme d’exploitation agricole. L’arboriculture en revanche, dont on dit qu’elle est à la sylviculture ce que l’horticulture est à l’agriculture (https://fr.wikipedia.org/wiki/Arboriculture), est soumise au champ d’application de la loi sur le bail à ferme.

Les sapins de Noël

Le cas du sapin de Noël est particulier. D’après l’article 10, alinéas 1er et 2 de la loi:

« Ne constitue pas une exploitation personnelle la plantation sur le bien loué par les bénéficiaires de la reprise au cours des neufs ans qui suivent le départ du preneur, de conifères, d’essences feuillues ou de taillis, à moins qu’il ne s’agisse d’horticulture ou de plantations nécessaires à la conservation du bien. Le juge de paix peut accorder dispense de cette interdiction après avis de l’ingénieur agronome de l’Etat de la région.

« La plantation de sapins de Noël au cours des neuf années qui suivent le départ du preneur, ne constitue pas une exploitation personnelle sauf si le bénéficiaire de la reprise exploite déjà une exploitation horticole et que le juge de paix accorde dispense de cette interdiction après avis de l’ingénieur agronome de l’Etat de la région. »

En règle donc, le projet d’exploiter des sapins de Noël ne peut pas venir à l’appui d’un congé motivé par l’intention d’exploiter personnellement le bien loué, sauf si le bénéficiaire du congé exploite déjà une exploitation horticole et à condition que, sur l’avis d’un ingénieur agronome de l’Etat désigné par lui, le juge de paix estime pouvoir accorder dispense.

Un jugement du tribunal de première instance de Namur

Un jugement prononcé en degré d’appel par la division namuroise du tribunal de première instance de Namur valide un congé donné pour permettre à son bénéficiaire de planter des sapins de Noël. Le rapport de l’ingénieur agronome confirmait l’existence d’une exploitation horticole à caractère professionnel, mais celle-ci était poursuivie par le truchement d’une société privée à responsabilité limitée dont l’objet incluait ce type d’activité. Le bénéficiaire du congé en était l’administrateur principal et il détenait la majorité des parts. Son projet était toutefois de les céder à son fils et de planter des sapins sur les parcelles concernées par le congé, dont la superficie s’étendait sur plus de six hectares et qui autorisaient la plantation d’environ 60.000 pieds. Il était reproché au jugement d’avoir reconnu l’existence d’une exploitation horticole du bénéficiaire du congé au moment de la notification de ce dernier alors que cette exploitation n’était pas poursuivie par le bénéficiaire lui-même, en tant que personne physique, mais par une société.

L’arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2018

En son arrêt du 23 avril 2018, la Cour de cassation répond au pourvoi en ces termes:

« L’article 7, 1°, de la loi sur les baux à ferme autorise le bailleur à mettre fin au bail s’il a l’intention d’exploiter lui-même tout ou partie du bien loué ou d’en céder en tout ou en partie l’exploitation à son conjoint, ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint, ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs.

« L’article 9, alinéa 1er, de cette loi dispose que l’exploitation personnelle du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé à l’article 7, 1°, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s’il s’agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés.

« Cet article précise en ses alinéas suivants les conditions auxquelles doivent satisfaire les personnes qui invoquent le motif du congé consistant en l’exploitation personnelle et celles qui sont indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation.

« D’autres conditions de la validation du congé, qui concernent l’importance que l’exploitation des biens repris revêtira dans l’activité professionnelle de ceux qui assureront cette exploitation, sont fixées à l’article 12.6 de la même loi.

« Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de celle-ci, la plantation de sapins de Noël au cours des neuf années qui suivent le départ du preneur ne constitue pas une exploitation personnelle, sauf si le bénéficiaire de la reprise exploite déjà une exploitation horticole et que le juge de paix accorde dispense de cette interdiction après avis de l’ingénieur agronome de l’État de la région.

« Il ne suit ni de cette disposition ni de son rapprochement avec les autres dispositions précitées de ladite loi que le bénéficiaire de la reprise devrait avoir exploité son activité horticole antérieure en qualité de personne physique et non par le truchement d’une société. »

Conclusion

Il se déduit donc de cet arrêt que si une exploitation ne peut en principe être reconnue comme personnelle quand elle doit être poursuivie au travers d’une société alors que le bénéficiaire du congé est une personne physique (comparez toutefois cass. 22 décembre 2017 commenté sur le présent site), la loi ne fait pas obstacle à la validation du congé donné en vue de planter des sapins de Noël lorsque son bénéficiaire se prévaut d’une exploitation horticole poursuivie jusque-là au travers d’une société, du moment que le projet de plantation de sapins de Noël doit être réalisé par lui, en tant que personne physique. En d’autres termes, de ce que l’article 7, 1° n’autorise que le congé donné à des personnes physiques lorsqu’il ne l’est pas pour compte de l’auteur du congé lui-même, il ne se déduit pas que l’exploitation horticole dont doit faire preuve l’auteur d’un congé donné en vue de planter des sapins de Noël dans le cadre d’une activité de personne physique ne peut pas avoir été jusque-là poursuivie par le truchement d’une société. L’intention du législateur n’est autre que d’exiger une garantie de sérieux du projet d’exploitation de sapins de Noël, elle n’est apparemment pas de limiter les possibilités de validation d’un congé à ceux qui exercent déjà une activité de production de sapins de Noël sous le même statut ou dans la même structure.