Bail à ferme, échanges et contrats de culture

Iura vigilantibus, non dormientibus prosunt

(Les droits vont à ceux qui sont vigilants, non à ceux qui dorment)

En bail à ferme la conclusion, par le preneur, d’échanges de cultures et de contrats de cultures est tout sauf un geste anodin, surtout depuis la réforme de la loi sur le bail à ferme par le décret wallon du 2 mai 2019. De même, l’exploitation en commun du bien loué.

L’interdiction de principe des cessions et sous-locations en bail à ferme

Un contrat de bail à ferme est toujours censé conclu en considération des qualités personnelles du preneur. Les juristes, dans leur jargon influencé par le droit romain, disent de ce type de contrats qu’ils sont conclus intuitu personae: en considération de la personne singulière du cocontractant. C’est la raison pour laquelle un contrat de bail à ferme ne peut être cédé, ou le bien sous-loué, sans l’autorisation préalable et écrite du bailleur, sauf s’il s’agit pour le preneur de passer la main à l’un des proches tenus pour privilégiés par la loi. Les cessions ou sous-locations qui, pour n’avoir pas été autorisées par le bailleur, sont illégales, exposent le preneur au risque d’une résolution de son bail.

Comme cette interdiction de principe ne procède évidemment pas de la volonté de décourager des modes d’exploitation rationnels, un certain nombre de conventions utiles, mais qui peuvent prêter à équivoque, sont explicitement déclarées légitimes par la loi à certaines conditions dont le respect s’impose strictement au preneur. Il s’agit des contrats d’échanges de cultures, des contrats de cultures et de l’exploitation en commun.

Le contrat d’échange en jouissance ou échange de cultures

Le contrat d’échange dont il est ici question est le contrat par lequel deux exploitants de terres ou de pâturages conviennent d’échanger entre eux une ou plusieurs parcelles dont ils ont la jouissance à un titre ou à un autre, en vue de les exploiter de façon plus rationnelle, par exemple en rapprochant une parcelle du siège d’exploitation ou en formant un beau bloc. Le contrat qui répond à cette définition et à cet objectif est explicitement autorisé au preneur par la loi sur le bail à ferme en son article 30:

« Ne sont pas considérés comme des sous-locations les échanges portant sur la culture des biens loués, réalisés par les preneurs. Ces échanges n’affectent les droits et obligations, ni des bailleurs, ni des preneurs. »

Même si ce n’est plus lui qui l’exploite, le locataire de la parcelle échangée n’a de comptes à rendre qu’à son bailleur. C’est lui qui continue de payer le fermage de la parcelle en question, et vice-versa si son coéchangiste est lui-même locataire de la parcelle reçue en échange. Pour le bailleur donc rien ne change, même si tout ou partie du bien loué n’est plus exploité par son preneur.

Les contrats de cultures ou « contrats saisonniers »

Ce qu’on appelle couramment un « contrat de culture » ou, plus largement, un « contrat saisonnier », est défini par la loi sur le bail à ferme en son article 2, 2°. Il s’agit du contrat par lequel l’exploitant agricole de terres ou de pâturages en accorde, contre paiement, la jouissance à un tiers pour une durée inférieure à un an, en vue d’une culture déterminée, en veillant à se réserver les travaux de préparation et de fumure.

Ces contrats se rapprochent du bail à ferme puisqu’ils sont conclus à titre onéreux en vue de la production de produits agricoles. La loi les exclut pourtant de son champ d’application, le temps de permettre à l’exploitant de traverser des difficultés passagères en optant pour ce que l’on s’accorde à considérer comme un mode d’exploitation personnelle atténué. L’exploitant peut ainsi également confier à des tiers spécialisés certaines cultures particulières (lin, pois, pommes de terre, etc.).

L’exploitation en commun

 

La loi n’entend pas non plus décourager l’entraide agricole, aussi l’exploitation en commun du bien loué ne prête-t-elle pas à critique quand le preneur reste seul titulaire du bail et participe activement à l’exploitation, à titre d’occupation principale (art. 30, § 1er, 2°).

Décret wallon du 2 mai 2019 – Incidence de la réforme de la loi sur le bail à ferme

Les échanges

Le décret wallon du 2 mai 2019 a, sur les contrats d’échanges et sur les contrats de culture, une incidence à laquelle on risque de ne pas être assez attentif, d’autant qu’elle n’est pas tout à fait claire.

Pour ce qui concerne les échanges le principe reste acquis, mais à une condition et sous une réserve:

  • le projet d’échange doit être notifié au bailleur trois mois au moins avant la conclusion de l’échange, avec indication de la date de prise de cours et de la durée de l’échange et de l’identité complète des coéchangistes, et description complète des biens échangés;
  • le bailleur dispose d’un droit d’opposition pour des motifs précis, dont l’énumération paraît bien limitative.

Tout échange auquel il serait procédé sans respecter ses conditions légales devrait être tenu pour nul, dit la loi. Cela peut paraître curieux: l’on se serait attendu à ce que le législateur wallon, plutôt que de frapper de nullité une convention étrangère au bailleur, autorise celui-ci à la tenir pour inopposable et fautive. Un échange n’échapperait au soupçon de sous-location  qu’à la condition qu’il soit conforme à la loi.

Les contrats de culture

C’est ici, sans doute, que l’incidence de la réforme risque d’être comprise trop tard. En son état actuel la loi, telle qu’elle est applicable en Région wallonne, se lit comme suit (art. 30, § 1er):

« Ne sont pas considérés comme des sous-locations:

1° les échanges portant sur la culture des biens loués, réalisés par les preneurs,

2° l’exploitation en commun d’un bien rural donné à bail à un des co-exploitants, si ce dernier reste seul titulaire du bail et participe activement, à titre d’occupation principale, à l’exploitation,

3° les conventions conclues dans le respect de l’article 2, 2°« 

Avant la réforme, il n’était question à l’article 30 que des échanges de culture et de l’exploitation en commun. L’exclusion des contrats de culture du champ d’application de la loi sur le bail à ferme ne pouvait se déduire que de l’article 2, 2° (« Ne sont pas soumis aux dispositions de la présente section… etc. »). La Cour de cassation avait rendu, le 29 avril 2010, un arrêt duquel il résultait que les contrats de culture, lorsqu’ils sont conclus par le preneur, sont des sous-locations, si bien qu’ils ne peuvent l’être sans une autorisation écrite et préalable du bailleur (Cass., 29 avril 2010, Pas., 2010, 1333 ; Rev. dr. rur., 2010, pp. 248-251 et note). C’est sans doute pour tenir compte de cet arrêt que le législateur wallon a ajouté une allusion aux contrats de culture à l’article 30, mais cela a été fait à la va-vite, en fin de législature, à un moment où tout pressait, avec cette conséquence que l’allusion aux contrats de culture prend place, de manière quelque peu incongrue, au beau milieu d’une phrase où il est question des échanges (art. 30, § 2):

« À peine de nullité des échanges, le preneur notifie au bailleur le projet des échanges au sens du paragraphe 1er, alinéa 3, 1°, ainsi que les conventions au sens du paragraphe 1er, alinéa 3, 3°, au moins trois mois avant lesdits échanges, en précisant… etc. »

Les contrats de culture ne semblent donc admissibles et opposables au bailleur, lorsqu’ils sont conclus par le preneur, que lorsqu’ils ont fait l’objet d’une notification préalable au bailleur, trois mois au moins avant leur conclusion!

Cette modification est manifestement passée inaperçue, car tout le monde continue de se comporter comme si de rien n’était, de nombreux preneurs continuant de conclure des contrats de culture sans se rendre compte du risque qu’ils courent de les voir assimilés à des contrats de sous-location illégale, parce que non autorisés par le bailleur avant leur conclusion.

Voyez également notre article: « Vente d’herbe, bail saisonnier et bail à ferme: le piège »