Bail à ferme et terrains à bâtir

En l’absence d’un bail écrit ou d’une clause particulière, le congé à tout moment est-il toujours possible quand le terrain non bâti, constructible sans travaux de voirie, l’était déjà au début du bail ?

L’imagination des plaideurs est sans limites, bien fou d’ailleurs celui qui la briderait à l’excès tant il est difficile de préjuger de l’orientation que prendra le juge et de l’accueil qu’il réservera à tel ou tel argument. Mais le justiciable n’a que faire de victoires mal enracinées, et la Cour de cassation n’aime pas celles que l’on bâtit sur du sable. Mieux vaut donc, en fin de compte, ne pas plaider n’importe quoi. Un preneur qui s’était laissé aller à une lecture originale de l’article de la loi sur le bail à ferme relatif au congé donné pour bâtir, a dû l’apprendre à ses dépens.

L’article 6, § 1er, 2° de la loi sur le bail à ferme, qui s’applique au congé du bailleur fondé sur la volonté de donner à un terrain une affectation conforme à sa destination finale, lui permet de mettre fin à un bail à ferme à tout moment, moyennant un préavis de trois mois, lorsqu’il veut bâtir sur un « terrain non bâti qui, au moment du congé, doit être considéré comme terrain à bâtir sans que des travaux de voirie doivent être effectués au préalable ». Or le même article, en son § 1er, 1°, offre la même possibilité de congé à tout moment au bailleur dont le bail concerne un terrain qui, « vu sa situation au moment du bail », devait être considéré comme terrain à bâtir ou à destination industrielle sans que des travaux de voirie doivent y être effectués au préalable, « à condition qu’il ait été déclaré tel dans le bail ». Mettant ces deux dispositions en regard notre preneur se dit : de deux choses l’une, ou bien le terrain que j’exploite était déjà un terrain à bâtir viabilisé au moment de la signature d’un bail écrit, et mon bailleur peut me donner congé s’il a pris la peine d’attirer mon attention sur la qualité du terrain par une clause particulière du bail, ou bien le terrain, qui n’était pas un terrain à bâtir viabilisé au moment de la conclusion du bail, l’est devenu en cours d’exécution, et mon bailleur peut me donner congé sur pied de l’article 6, § 1er, 2°. Aucune possibilité donc de congé, soutient le preneur, pour mettre un terme au bail qui n’aurait pas fait l’objet d’un écrit ou qui ne contiendrait pas la clause visée au § 1er, 1°, et qui aurait pour objet un terrain qui pouvait déjà être regardé comme un terrain à bâtir au début du bail. En d’autres termes, pour que s’applique l’article 6, § 1er, 2°, il faudrait un terrain qui soit devenu constructible en cours de bail. C’est en ce sens qu’il faudrait comprendre l’expression « terrain non bâti qui, au moment du congé… », telle qu’elle est utilisée au 2° de l’article 6, § 1er, par contraste avec l’expression « terrain qui, vu sa situation au moment du bail… », telle qu’elle est utilisée au 1° du même article. Or si l’intention du bailleur n’est pas de bâtir, mais de vendre, la loi prévoit en son article 52, 7° que dans les cas visés, notamment, à l’article 6, § 1er, 1° et 2°, le preneur ne jouit pas du droit de préemption. En l’espèce, le bailleur s’était fondé sur cet article pour vendre sans notification d’une offre de préemption, et c’est ce dont notre preneur se plaignait, exigeant d’être subrogé à l’acquéreur. Contre toute attente, tant le juge de paix que la juridiction d’appel vont adhérer à son raisonnement, et vont donc interpréter l’article 6 comme barrant l’accès à toute possibilité de congé pour bâtir sur un terrain à bâtir qui avait déjà cette qualité au moment de la conclusion du bail, si le bail n’a pas été constaté dans un écrit comportant la clause destinée à attirer l’attention du preneur sur la qualité particulière du terrain. L’article 6, § 1er, 2° ne s’applique, estiment-ils, qu’aux terrains qui sont devenus terrains à bâtir après la conclusion du bail. La cassation était prévisible : en d’autres termes plus techniques, la Cour reproche au jugement d’appel de faire dire au texte de loi ce qu’il ne dit pas. Du moment que le terrain peut être regardé comme un terrain à bâtir non bâti immédiatement constructible au moment de la vente, le preneur ne jouit pas du droit de préemption, que le terrain ait reçu sa qualité de terrain à bâtir au cours du bail ou qu’il l’ait eue déjà au moment de sa conclusion, peu importe. (Cour de cassation, arrêt du 22 septembre 2017)

Morale de l’histoire : quoi que l’on bâtisse, maisons ou raisonnements juridiques, il ne faut pas bâtir sur du sable.

La publication de l’arrêt sur le site JURIDAT donne accès à la requête en cassation, qui contenait dans un deuxième moyen d’intéressants développements au sujet de l’abus de droit. L’arrêt de la Cour de cassation n’y a pas égard, l’habitude de la Cour étant de ne pas se donner plus de mal qu’il est nécessaire, quand d’autres moyens que celui ou ceux sur base desquels la cassation est accordée ne peuvent conduire à une cassation plus étendue.