Maintien d’arbres plantés à distance illégale et droit de couper les racines

Droit rural, distance des plantations et droit de couper les racines et les branches: un arrêt de la Cour constitutionnelle du 5 juillet 2018.

Le droit de maintenir après trente ans des arbres plantés à distance illégale ne peut être comparé au droit de maintenir après trente ans des vues irrégulières sur le fonds voisin. Tel est l’enseignement d’un arrêt prononcé le 5 juillet 2018 par notre Cour constitutionnelle. Le juge de paix d’Ath-Lessine s’était interrogé sur l’existence d’une éventuelle discrimination tenant au fait qu’une vue illégale sur un fonds voisin à partir d’un balcon ou d’une saillie peut se prescrire sans restriction par trente ans alors que le droit de maintenir, passé trente ans, des arbres plantés à distance illégale trouve, lui, une limite ou une restriction dans le droit du voisin de couper leurs racines, même au-delà de trente ans.

Rappelons qu’en effet, aux termes de l’article 37 du Code rural, « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres du voisin peut contraindre celui-ci à couper ces branches. Les fruits tombés naturellement sur la propriété du voisin lui appartiennent. Si ce sont les racines qui avancent sur son héritage, il a le droit de les y couper lui-même. Le droit de couper les racines ou de faire couper les branches est imprescriptible. » (Voyez également notre article « Distance des plantations sur la voie publique« .)

Mais quel point commun entre une vue conquise au bout de trente ans et l’arbre planté à distance illégale, qui peut être maintenu au-delà du même délai mais dont les racines et les branches surplombantes peuvent toujours être coupées? L’hétérogénéité des deux situations laissait présager une réponse négative de la Cour constitutionnelle à la question d’une éventuelle inconstitutionnalité de l’article 37, alinéa 4 du Code rural:

« L’ouvrage muni d’une vue non conforme est un ouvrage matériel réalisé par l’homme que l’on peut observer à tout moment et dont l’ampleur ne se modifie pas par le seul effet de l’écoulement du temps. La prescription acquisitive d’une telle servitude de vue court, en règle, du jour de l’achèvement de l’ouvrage par lequel la servitude est exercée (Cass., 25 mai 1990, Pas., 1990, I, n° 559).

« En revanche, l’ampleur d’un arbre ne constitue pas une donnée fixe mais se modifie par le seul écoulement du temps. La poussée des branches et des racines des arbres est principalement le fait de la nature, laquelle a pour effet d’augmenter la charge du fonds voisin résultant des branches et des racines qui avancent à la suite de cette poussée naturelle et dans le cadre de laquelle il est très ardu, voire impossible, de déterminer avec exactitude la date à laquelle la prescription trentenaire commencerait à courir à l’égard de ces branches ou de ces racines. »

La Cour conclut donc qu’« Eu égard aux caractéristiques différentes, d’une part, d’un ouvrage muni d’une vue non conforme qui empiète matériellement sur le fonds voisin et, d’autre part, d’un arbre doté de branches ou de racines qui avancent sur le fonds voisin, la différence de traitement entre les propriétaires respectifs repose sur un critère de distinction objectif et pertinent en ce qui concerne la restriction apportée, par la disposition en cause, à l’étendue de la servitude acquise par prescription. »

Cette différence de traitement entre le titulaire d’une servitude de vue acquise au bout de trente ans et le titulaire du droit, également acquis au bout de trente ans, de maintenir des arbres plantés à distance illégale, lequel trouve une limite dans le droit imprescriptible du voisin de couper leurs racines et de faire couper leurs branches, n’emporte pas d’effets disproportionnés, dit encore la Cour constitutionnelle, parce que ce droit de couper les racines et les branches doit toujours s’exercer en tenant compte de l’interdiction d’en abuser et de la théorie des troubles de voisinage. Couper des racines dans le seul but de faire périr des arbres dont la situation est régulière ou a été régularisée par l’écoulement du temps serait constitutif d’un abus de droit.