Perte du droit de donner congé pour exploitation personnelle.

Bail à ferme et congé pour exploitation personnelle : un deuxième arrêt sévère de la Cour de cassation.

Un arrêt prononcé en langue néerlandaise par la Cour de cassation le 8 mai 2017 semble bien fixer définitivement l’orientation de la jurisprudence au sujet de la portée de l’article 9, alinéa 2 in fine de la loi sur le bail à ferme. Le pourvoi reprochait à un jugement prononcé le 10 mars 2016 par le tribunal de première instance de Flandre occidentale, en sa division de Furnes, d’avoir confirmé la décision par laquelle, en premier ressort, le juge de paix avait refusé de valider un congé donné en vue de l’exploitation personnelle du bien loué au profit d’une belle-fille.  Le motif du refus était tiré de l’article 9, alinéa 2 in fine de la loi sur le bail à ferme d’après lequel le bailleur qui, après avoir abandonné l’exploitation du bien, le donne à bail, perd le droit d’invoquer ensuite le motif d’exploitation personnelle à l’appui d’un congé. En l’espèce, le bail à ferme avait bel et bien été concédé par le bailleur après l’abandon de son exploitation.

La loi du 7 novembre 1988, qui a modifié la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme, a renforcé les conditions de validation d’un congé donné en vue de l’exploitation personnelle en privant de cette possibilité de congé le bailleur trop âgé ou celui qui, après avoir renoncé à l’exploitation du bien, l’aurait donné à bail. La portée de cette double interdiction n’était pas claire, le législateur ayant apparemment perdu de vue que le congé pour exploitation personnelle pouvait être donné par le bailleur non seulement à son propre profit, mais aussi pour le compte de l’un de ses proches (conjoint,  descendant ou enfant adoptif, descendant ou enfant adoptif du conjoint, conjoint d’un descendant ou d’un enfant adoptif). Or pourquoi un bailleur trop âgé (65 ans au moment de l’expiration du préavis, voire 60 ans s’il n’a jamais été exploitant pendant au moins trois ans) se verrait-il interdire de donner congé au profit de l’un de ses proches si celui-ci n’a pas, en ce qui le concerne, atteint la limite d’âge ? Et en effet, un arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 mars 2011 a décidé que l’article 9, alinéa 2 de la loi sur le bail à ferme violerait les articles 10 et 11 de la Constitution s’il devait être interprété comme interdisant au bailleur qui a personnellement atteint la limite d’âge de donner congé au profit de l’un de ses proches. Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle précise qu’ « En ajoutant à l’article 9, alinéa 2, deux causes d’exclusion spécifiques aux conditions générales prévues jusque-là pour justifier le renon d’un bail à ferme en vue de l’exploitation personnelle – dont la condition d’âge -, le législateur entendait qu’un bailleur trop âgé ne puisse donner un congé pour lui-même ou au profit d’une personne ayant des liens de parenté avec lui mais également trop âgée. Entendue ainsi, la condition d’âge ne s’applique qu’au futur exploitant et permet de la sorte d’éviter que des terres soient soustraites à leur destination agricole. Le congé donné par un bailleur plus âgé, pour un motif d’occupation personnelle au profit de ses descendants ou parents qui satisfont à la condition d’âge prévue par la disposition en cause, maintient expressément l’affectation agricole des terres et assure le caractère familial de l’exploitation, objectif recherché par le législateur. »

Dans un arrêt du 9 octobre 2008, la Cour de cassation avait déjà pris position sur la portée de la deuxième restriction en renvoyant sèchement au texte de loi, qu’elle invitait à interpréter de manière littérale. A son estime la loi était claire et ne souffrait pas d’interprétation : le bailleur qui, après avoir abandonné son exploitation, l’a donnée à bail, ne peut donner congé pour exploitation personnelle, que ce soit pour son propre compte ou pour compte de l’un de ses proches. Restait à savoir si un souci de cohérence sémantique et la prise en compte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’amèneraient pas la Cour de cassation à revoir sa position. En effet, s’il fallait lire la première des deux restrictions (la condition d’âge) comme s’appliquant au seul bailleur donnant congé pour son propre compte, et non au bailleur donnant congé pour l’un de ses proches, ne s’imposait-il pas d’adopter la même lecture dans le cas du bailleur qui, après l’abandon de l’exploitation du bien, l’aurait donné à bail ? Par son arrêt du 8 mai 2017, la Cour de cassation indique qu’elle ne sent pas ce risque d’incohérence. Le pourvoi l’invitait à poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle sur la compatibilité de l’article 9, alinéa 2 in fine avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans la portée que lui reconnaissait la Cour. Sans doute l’auteur du pourvoi considérait-il, au nom du principe de cohérence, que l’interprétation suggérée par la Cour constitutionnelle pour la première restriction devait en quelque sorte aspirer celle de la deuxième. Il eut visiblement bien fait de ne pas céder à cette présomption et de formuler sa question préjudicielle en des termes clairs, car l’arrêt de la Cour de cassation lui reproche de ne pas préciser en quoi la deuxième restriction pourrait être discriminatoire lorsqu’elle est interprétée de manière littérale. En d’autres termes, la Cour de cassation ne semble pas voir, dans l’interprétation littérale de la deuxième des deux restrictions contenues dans l’article 9, alinéa 2 de la loi sur le bail à ferme, le même risque d’une violation des articles 10 et 11 de la Constitution que celui que la Cour constitutionnelle a reconnu dans la première, liée à l’âge, si elle devait faire l’objet de la même interprétation littérale. Mais la question reste ouverte, car il paraît sévère d’interdire toute possibilité de congé pour exploitation personnelle au bailleur qui, au moment de l’abandon de son exploitation et de la conclusion du bail, ne peut pas toujours deviner que l’un de ses proches sera motivé par la perspective d’une exploitation personnelle et qu’il aura les compétences et les moyens requis par la réalisation d’un tel projet.

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