Congé pour exploitation personnelle : la Cour de cassation désavouée par la Cour constitutionnelle !
A peine publié notre commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mai 2017 (voir le présent blog : « Perte du droit de donner congé pour exploitation personnelle »), voici que la Cour constitutionnelle se prononce, par un arrêt du 23 novembre 2017, sur la constitutionnalité de la deuxième des deux règles contenues dans l’article 9, alinéa 2 de la loi sur le bail à ferme, celle donc qui interdit à celui qui, après la cessation de son exploitation, l’a donnée à bail, d’invoquer ensuite le motif d’exploitation personnelle à l’appui d’un congé.
Pour rappel, la question était de savoir si cette interdiction devait se voir reconnaître une portée générale, l’interdiction d’invoquer le motif d’exploitation personnelle s’étendant dans ce cas au congé donné au profit d’un membre privilégié de la famille du bailleur, ou s’il fallait la limiter au seul congé donné par le bailleur à son propre profit. La question avait été soumise à la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 9 octobre 2008, avait en quelque sorte sèchement invité l’auteur du pourvoi à chausser de bonnes lunettes et à se rendre compte que le texte légal était clair et… qu’il n’appelait donc pas d’interprétation ! Position d’autant plus curieuse que, s’agissant de la limite d’âge, la Cour de cassation avait bien dû se résoudre, pour ne pas verser dans l’absurdité, à interpréter l’interdiction d’invoquer le motif d’exploitation personnelle en la limitant au seul congé donné par le bailleur à son propre profit. N’était-on pas en droit d’attendre de la Cour de cassation, dont la mission propre est d’assurer la sécurité juridique, qu’elle adopte une lecture homogène de l’article 9, alinéa 2 ?
Il aura fallu en définitive un détour par la Cour constitutionnelle pour obtenir enfin la reconnaissance de ce qui pouvait pourtant être tenu pour relativement évident : la règle contenue dans l’article 9, alinéa 2, in fine, selon laquelle « Ne peut (…) invoquer le motif d’exploitation personnelle celui qui, après la cessation de son exploitation, l’a donnée à bail », est bel et bien susceptible de deux interprétations : l’une, conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution, selon laquelle l’interdiction se limite au congé donné par le bailleur pour son propre compte, et l’autre, inconstitutionnelle, selon laquelle l’interdiction s’étendrait à tout congé donné pour motif d’exploitation personnelle, qu’il le soit pour compte propre ou au bénéfice d’un proche. (Pour tout ceci, voy. également P. RENIER, « Quelle portée faut-il reconnaître à l’article 9, alinéa 2 de la loi sur le bail à ferme? », in J.L.M.B., 2011/40, pp. 1952-1954)
La Cour constitutionnelle motive comme suit sa décision :
« En ajoutant à l’article 9, alinéa 2, deux causes d’exclusion spécifiques aux conditions générales prévues jusque-là pour justifier le renon d’un bail à ferme en vue de l’exploitation personnelle, le législateur entendait qu’un bailleur trop âgé ou un bailleur ayant déjà mis fin à sa carrière d’agriculteur ne puisse donner un congé à son propre profit. Dans les deux cas, le but du législateur est d’accroître la protection de la population agricole active ( Doc. parl., Chambre, 1981-1982, n° 171/40, p. 179), en excluant le congé pour motif d’exploitation personnelle par le bailleur, lorsqu’il est établi que ce dernier a déjà mis un terme à sa carrière d’agriculteur ou lorsque son âge permet de supposer raisonnablement qu’il pourrait mettre fin à sa carrière d’agriculteur (article 9, alinéa 1er) .
« Eu égard à cet objectif, il est raisonnablement justifié que la disposition en cause exclue le renon pour motif d’exploitation personnelle par le bailleur même, lorsque ce dernier a déjà mis fin à son exploitation agricole et l’a ensuite donnée à bail.
« Cet objectif ne justifierait toutefois pas que, pour le bailleur qui a cessé son exploitation agricole et l’a ensuite donnée à bail, le renon soit également exclu au profit de ses descendants et parents.
« Une interprétation de la disposition en cause aux termes de laquelle le bailleur à ferme qui a cessé son exploitation et l’a donnée à bail après cette cessation ne peut mettre fin au bail pour le motif d’exploitation personnelle, par lui-même ou par une des personnes visées aux articles 7, 1°, et 8, § 1er, de la même loi contredit donc la volonté du législateur de mieux définir le congé pour exploitation personnelle afin d’éviter les abus des bailleurs tout en préservant un juste équilibre entre les intérêts des bailleurs et ceux des preneurs . »
Formons le vœu qu’au cours des travaux parlementaires qui conduiront à une réforme de la loi sur le bail à ferme, le législateur wallon consente les efforts de légistique sans lesquels les citoyens concernés par des dispositions légales insuffisamment travaillées peuvent être amenés à essuyer de lourdes injustices, ou à ne pouvoir obtenir justice qu’en payant le prix fort.